Description
Personne ne croit plus à la révolution? Elle est donc pour demain!
Autour de ce paradoxe, Jean-François Kahn a écrit un petit livre joyeusement stimulant. Le directeur de Marianne ne recule pas devant la prophétie. «N’en doutons pas: il y aura une révolution, énorme, globale, planétaire», proclame-t-il. L’auteur devine le sourire du lecteur accablé par le triomphe mondial du capitalisme et le ralliement de tant de «socialistes» au libéralisme économique. Mais son art consommé du contre-pied balaie toutes les objections.
Un: les révolutions éclatent toujours lorsqu’elles sont réputées impossibles. C’est a posteriori qu’un climat est jugé «pré-révolutionnaire». Deux: ce ne sont pas les révolutionnaires patentés qui déclenchent les révolutions. Ces énergumènes «n’ont jamais fait les révolutions, ils les sabotent», affirme Kahn. Trois: le vrai changement n’est pas l’oeuvre d’une classe prédestinée. «Il n’y a pas de véritable révolution qui ne passe par le rassemblement, provisoirement majoritaire, de couches sociales dont aucune n’est majoritaire en soi», analyse-t-il. Quatre: les révolutions ne naissent pas du désir de réaliser une utopie mais, au contraire, d’une simple réaction à l’insupportable présent au nom d’un ordre passé lui-même idéalisé.
A cette aune, la situation actuelle est prometteuse pour le libéral-révolutionnaire Kahn. L’empire du «pancapitalisme» est chaque jour plus sûr de lui. Paré des plumes de la «modernité», il ne devrait pas tarder à commettre l’imprudence qui transformera sa domination en provocation. L’auteur multiplie les exemples historiques pour démontrer que les élites se perdent en voulant pousser, par excès de confiance en elles, leurs avantages. «Le peuple ne l’emporte qu’en contre-attaque», souligne Kahn. De la France de 1789 à la Russie de 1905, c’est la réaction défensive de populations indignées qui met le feu aux poudres. Tout s’enchaîne ensuite. «Ce n’est pas le peuple qui fait la révolution, c’est la révolution qui fait le peuple», écrit Kahn.
Inutile, dès lors, de se casser la tête avec la formation d’une conscience révolutionnaire, le travail de sape idéologique, la construction d’un rapport de force social et autre fariboles léninistes. Il suffit d’attendre tranquillement que la folle «course vers la déshumanisation totale» conduite par le «capital financier» suscite un salutaire haut-le-coeur. Le désordre établi repose sur trop de déséquilibres et d’injustices pour ne pas provoquer sa perte, se persuade l’optimiste Kahn. Il «marginalise»les producteurs tout en «collectivisant» les consommateurs. «Exploitation de l’argent par l’argent», ce système pervers dévalue l’être pour mieux valoriser les avoirs. «Le maître lui-même perd son humanité en déshumanisant son esclave», insiste Kahn en observant que «les exclus campent, eux, au coeur de la dynamique sociale» du néolibéralisme. «L’humanité ne reprend forme que dans les marges vers quoi il la rejette», explique-t-il. Et de s’en prendre, d’un même mouvement, à un «Etat inquisiteur, envahisseur et envahissant, interventionniste, normatif et flicard qui infantilise, déresponsabilise, uniformise les millions de citoyens qu’il a transformés en troupeau d’assistés».
On l’aura compris, Kahn est tout sauf un dangereux gauchiste. Affirmant que la révolution n’a nullement vocation à être violente, le brillant polémiste met vigoureusement en garde contre les «révolutionnaristes» qui ne cessent de poursuivre d’illusoires desseins «millénaristes». L’auteur déteste ceux qui ne vénèrent que les révolutions ratées comme juin 1848 ou la Commune de Paris: «Dans certains milieux, on ne les aime que saignantes, comme les steaks, les faits divers et les saints.» Loin de vouloir du passé faire table rase, Kahn perçoit la révolution comme «un mécanisme presque thermostatique d’autorégulation des sociétés». Il n’envisage pas un «remplacement» de la structure sociale, mais simplement sa «recomposition» autour d’un nouveau centre qui ne soit plus «le marché» mais «l’homme».
C’est vague, dira-t-on. Comme sont floues les «aspirations» libérale, démocratique, nationale, socialiste et universaliste pas moins que devrait satisfaire la révolution kahnienne. Mais l’auteur sombrerait dans l’incohérence s’il se risquait à dessiner les traits du futur souhaité. Or la cohérence est tout ce qui fait la force mais aussi la faiblesse de son propos.